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Paradis pour une reine

Le monastère de Qoma Fasilädäs, Éthiopie, XVIIe siècle

Anaïs Wion

Histoire ancienne et médiévale



Disponible chez ce distributeur :

Durant la première moitié du xviie siècle, une reine, Wäld Sä'ala, bâtit l'œuvre de sa vie en s'attribuant un vaste territoire au cœur des hauts plateaux éthiopiens. Un monastère – Qoma Fasilädäs – est fondé pour lui servir de lieu de vie, doter de biens fonciers sa famille et ses proches, conserver sa dépouille et pérenniser sa mémoire. Une formule métaphorique, transmise par la tradition orale, résume ce projet : Aux confins le feu, au centre le Paradis, faisant de cet espace un lieu à part disposant d'institutions dont l'autonomie est fièrement revendiquée. Cette reine fut l'épouse du roi Susneyos (r. 1607-1632) qui se convertit au catholicisme et voulut en faire la religion du royaume en s'alliant avec les Jésuites avant que son fils, Fasilädäs (r. 1632-1667), ne rétablisse la foi d'Alexandrie. Mais à ces deux hommes elle refusa son soutien pour bâtir son propre réseau d'influence en s'alliant avec ceux qui s'avérèrent être les perdants des grandes batailles politiques de l'époque. De la splendeur de cette petite société de cour, des complots, des meurtres et des exils qui la traversèrent, rien ne subsiste dans l'historiographie officielle de la royauté. L'histoire de Qoma Fasilädäs serait donc restée jusqu'à aujourd'hui inconnue si Anaïs Wion n'était pas allée la rechercher dans les manuscrits jalousement gardés au sein de ce monastère et n'avait questionné sans relâche les dépositaires de cette mémoire. Les « jeux d'échelle » de cette enquête dans une fondation royale éclairent des pans obscurs de ce premier XVIIe siècle éthiopien, aussi crucial qu'encore méconnu, tout autant qu'ils permettent de comprendre comment une tradition orale formalisée, ancrée dans le temps de la fondation, permet aujourd'hui encore de réguler l'accès à la terre et les structures institutionnelles.

Anaïs Wion est historienne et chercheuse au CNRS (Centre d'études des mondes africains, CNRS/université Paris 1 Panthéon-Sorbonne). Ses travaux portent sur la constitution des archives, sur les pratiques de l'écrit et sur les rapports de pouvoir liés aux enjeux fonciers dans le royaume d'Éthiopie (XVe-XVIIIe siècle).